L'analyse de la pratique

A quoi ça sert ?

L’analyse clinique de la pratique – ou supervision - est un travail oral. La confidentialité concernant tous les propos personnels qui y sont émis en est une des règles fondamentales. Les professionnels de l’éducation – rééducateurs de l’Éducation nationale ou professionnels de l’éducation spécialisée – qui se sont exprimés ici, sans rien trahir de cette règle, ont risqué la mise en visibilité de leur parole, de leurs difficultés ou de leurs doutes, alors qu’ils se confrontent quotidiennement à des enfants et des jeunes en grande souffrance. Ils ont souhaité témoigner de l’aide importante, nécessaire, que leur apporte l’analyse clinique de la pratique quant à leur engagement professionnel. Dans ce cadre, le superviseur qui les soutient témoigne aussi de son positionnement et de sa place.

Cet ouvrage est une première : il présente le cheminement et le compagnonnage au fil des années d'un superviseur et de professionnels de l'éducation. Il met ainsi en série une chaîne de solidarité qui va de la supervision aux interventions sur le terrain. Ce faisant, il donne à lire la spécificité et la rigueur qui président à ces interventions éducatives.

2015, éditions érès, 373 p.

(Une poupée, Mycènes)
« Pouvoir dire son exaspération, son ressenti d'impuissance » (Dessin d'un participant)

Extrait de la préface de Joseph Rouzel *

Dissolution de la pratique...

(…) Inscrit dans les textes, reconnu comme un outil indispensable, l'analyse de la pratique ou supervision, relèvent bien souvent plus de la bonne intention que d'une orientation institutionnelle affirmée. Serait-ce, de façon imprévue, une forme d'enseignement sur ce que produit le dispositif ? Vraisemblablement. On peut penser à ce que Jacques Lacan a élaboré en son temps, la procédure de la passe, avant qu'elle ne se transforme lamentablement, sous les coups des petites combines des écoles analytiques qui en avaient la charge, en commission d'agrément. Alors que Lacan en attendait un enseignement sur ce qui bouleverse un sujet dans le passage du divan de l'analysant au fauteuil de l'analyste. Un enseignement, donc une mise en mots, utile à la communauté analytique. Toutes proportions gardées, ce passage de l'intérieur de l'espace protégé de la supervision à l'extérieur où se déploie le rendu public qu'emporte l'écriture, ouvre une passe pour ceux qui ici s'y livrent. Toutes ces questions, et bien d'autres, demeurent ouvertes. Chacun des auteurs d'une certaine façon y répond en acte, c'est à dire de la manière la plus énigmatique qui soit. Chacun dans l'après-coup de ces bricolages de parole et d'écriture qu'entraine la supervision, a jugé bon, tout en se coltinant au collectif, de rendre public sa position de sujet. Ce faisant il en endosse la responsabilité, il en répond au sens où « de notre position de sujet nous sommes toujours responsables.» La prise de risque de l'écriture fait relance du désir. Peut-être comprendrons-nous alors, dans cet autre après-coup du lecteur, comment ça s'écrit, supervision. (...)

* Joseph ROUZEL , Psychanalyste, formateur et fondateur de l'Institut Européen "Psychanalyse et travail social" (PSYCHASOC), et ASIE (Association des Superviseurs Indépendants Européens), ancien éducateur spécialisé.

« Ecouter l’autre, s’écouter soi-même… »

Extrait de l'article

Revue ASH n° 2093, 2 septembre 2016

(Une séance d’AP vient de se terminer au Foyer appartement Le Picard, à Dieulefit (Drôme), un établissement de l’association Clair Soleil qui accompagne des adultes souffrant de handicaps psychiques)

(…) « Si je suis en difficulté dans ma relation avec un résident que j’accompagne, c’est le moment d’en parler pour avoir le regard de mes collègues et de Mme Heraudet. » Cela m’évite d’être dans la toute-puissance », confie Anita Bonnay, monitrice-éducatrice. « Est-ce que je ne me trompe pas ? Est-ce que je n’induis pas quelque chose, sans le vouloir, dans ma relation avec tel usager, qui peut le mettre en difficulté ? »

(…) C’est une alchimie mystérieuse et fragile qui met en jeu une communauté humaine, ses ressorts inconscients, lui permet de dépasser ses difficultés et d’avancer ensemble. « On dit nos émotions, nos vécus. Pourquoi fait-on ce métier là ? Est-ce que je suis à la bonne place ? Qu’est-ce que ça me fait vivre ? » évoque Patrick Vissuzaine, AMP. « C’est régulateur de formes d’excès », analyse de son côté Rachel Vidoudez, chef de service du Foyer Le Picard. « Le professionnel rejoue dans sa relation avec l’usager quelque chose qui lui appartient. Il a besoin de se décaler, de faire d’autres expériences, de grandir ». Rien à voir, donc, avec la réunion clinique hebdomadaire consacrée au suivi des usagers. « Le sujet de l’APP, c’est ce que l’équipe dit de sa pratique en relation avec une personne prise en charge » résume Romuald Duarte-Tavares, Directeur du pôle de l’association Clair Soleil. Tout mettre sur la table ne peut se faire qu’en présence d’un tiers bienveillant chargé de faire respecter le cadre de la séance. (…) « Cette séance permet de poser les choses, de prendre du recul », souligne Caroline Cholvy, monitrice-éducatrice. « On s’interroge vraiment sur ce qu’on a fait, ce qu’on a mis en place. Cela fait grandir par le vécu des autres, l’expérience partagée. » (…)

(Autre séance d’APP, cette fois au sein de la MECS (maison d’enfants à caractère social) Foyer Matter, Montélimar)

(…) La séance d’APP s’achève. « Je suis contente d’avoir parlé de mes relations avec Kevin », confie Angélique Chazot, après le départ du superviseur. « C’est difficile de ne pas être une super-éducatrice. J’aime bien dire ce qui nous préoccupe, que mes collègues soient au courant. Il y a une dimension thérapeutique. On prend du recul. » « C’est bien de le dire, de verbaliser, de se sentir moins seul dans sa façon de penser, de partager» approuve Karine Chave. « On ne cherche pas la solution du problème. Ce qui compte, c’est de pouvoir en parler », précise Stéfano De Carlo. Pour l’équipe de MECS, le superviseur a servi de point d’appui, amenant des éclairages nouveaux. « Elle apporte ce regard tiers qui permet d’apaiser, de voir ce qu’on ne voit pas dans les situations », ajoute Najate Seghrouchi. (…)

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Jean de La Fontaine, Fables, « Le pot de terre et le pot de fer ».

pot de terre contre pot de fer

Le management, un pot de fer ?

Depuis quelques mois, cette institution, qui comprend huit services différents, tous destinés à la prise en charge et l’accompagnement de jeunes orientés par la Protection de l’Enfance, a été transférée à une entreprise qui soutient ce qui est nommé une « démarche qualité » selon des référentiels de « bonne pratique ». Il est posé que chaque problème doit être résolu par une solution efficace. Chaque action entreprise sera évaluée d’une manière systématique, dans une approche normative et qualitative, selon des critères précis établis à l’avance et des indicateurs de satisfaction de la part des professionnels et des usagers . Chaque intervention éducative devient une prestation. Il s’agit donc d’identifier le problème à corriger, de planifier le travail à effectuer, de chercher des solutions efficaces, de préparer et de planifier les procédures à mettre en œuvre, puis, à la suite de l’action, de rendre compte de son efficacité, de comprendre les éventuels dysfonctionnements et de modifier si nécessaire le processus avec l’objectif de construire un nouveau standard. Une question, fondamentale, se pose.
Qu’en est-il du sujet, de sa parole et de son histoire ? Qu’en est-il du sens de ses symptômes, si l’on considère que ceux-ci, pour un moment du moins, l’aident à continuer à vivre, même s’il en souffre ? Qu’en est-il de la relation et de ses effets entre le professionnel et celui qu’il accompagne ?
Toute approche clinique est évacuée dans ce système qui veut s’imposer aux professionnels. Des formations sur les « bonnes pratiques » leur sont imposées et ils ont exprimé à plusieurs reprises que l’équipe de Direction nouvellement constituée faisait comme s’ils ne connaissaient pas leur métier ! Il a été ajouté que ce nouveau directeur général, comme le directeur d’un autre service, nouvellement arrivés mais déjà en lien auparavant, avaient le même profil, et qu’ils étaient des « managers » désirant par tous les moyens asseoir leur pouvoir.

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L'analyse de la pratique

Texte révisé et complèté

Prix : 18EUR le livre