Une difficulté si ordinaire

Les écouter pour qu'ils apprennent

Pourquoi la rééducation à l'école ? Quel est son ancrage historique dans la pédagogie ? Comment se situe-t-elle historiquement et aujourd'hui, vis-à-vis des différentes aides apportées à l'élève en difficulté ? A qui s'adresse-t-elle ? Quelles sont ses méthodes et quels effets peut-on constater, d'une part, au sein de la rencontre clinique avec les enfants et d'autre part au niveau de l'investissement dans les apprentissages de leur classe ? En ce qui concerne leur inscription dans la vie sociale scolaire ? Quel partenariat instaurer avec l'enseignant, les parents et tous ceux qui sont concernés par l'enfant et sa famille ? Quelle formation pour assumer ces différentes fonctions ? Telles sont quelques-unes des questions posées dans ce livre édité en septembre 2001, réécriture d'une thèse de Doctorat en Sciences de l'Education soutenue en 1998.

Une question principale et impérieuse me travaillait et m’a soutenue dans l’écriture de ma thèse : Qu’est-ce qui, en fin de compte, est rééducatif ? Je me devais de trouver au moins des éléments de réponses, en premier lieu pour moi-même, afin de mieux comprendre ce que je faisais depuis déjà de longues années en tant que rééducatrice, pourquoi je le faisais et les effets que cela produisait. Le fait de m’inscrire résolument dans une démarche clinique me conduisait à analyser ce qui avait pu se passer, se jouer, au sein de la relation entre un enfant et moi-même, de ma place de professionnelle.

Il faut souligner que la réécriture d’une thèse impose des choix mais aussi une réorganisation des propos, éventuellement des compléments qui sont apparus parlants après-coup.

Yves de La Monneraye en 1991 avait montré que c'était la parole qui était rééducatrice. C'est au « modèle » de rééducation qu'il décrit que je me réfère principalement, « modèle » étant pris dans le sens large de repérage pour la pratique. Cependant, deux questions demeuraient pour moi, entières, en ce qui concerne l'analyse de ce qui se passait au cours de ce processus rééducatif.

1. La première question peut se formuler ainsi : au-delà du transfert positif de l'enfant au sein de la relation rééducative, au-delà de l'effet libérateur de l'expression par l'enfant de ce qui encombre sa pensée, au-delà des élaborations et symbolisations sous toutes leurs formes qu'est-ce qui fait vraiment changement pour l'enfant au cours de son processus rééducatif ? Qu'est-ce qui fait qu'un enfant, objet d'une demande d'aide formulée le plus souvent par d'autres que lui, un enfant objet de ses symptômes, un enfant dont la pensée est encombrée, submergée à tel point qu'il subit les évènements, sa vie, l'école, un enfant qui est mû parfois d'une manière agitée, désordonnée par des choses qu'il ne maîtrise pas, qu'est-ce qui fait que cet enfant bascule dans une position dans laquelle il parvient à devenir actif, qu'est-ce qui fait qu'il parvient à reprendre du pouvoir sur sa vie, sur son histoire, sur ses apprentissages ? Qu’est-ce qui fait qu’il parvient enfin à nouer des relations sociales constructives alors qu’il pouvait en être empêché auparavant ?

Lors de son intervention au Congrès FNAREN (Fédération Nationale des Rééducateurs de l’Education nationale) à Nîmes en 1994, Augustin Ménard m'a semblé apporter une réponse décisive à cette interrogation : C'est le changement de place du rééducateur dans le discours, au sein de la relation rééducative, qui permet à l'enfant lui-même de changer de positionnement dans son propre discours, dans sa manière d'être au monde. En mettant l'enfant au travail sur lui-même, puis en parvenant à céder sur son désir d'adulte et d'aidant, c'est-à-dire en laissant de la place, le professionnel permet à l'enfant de trouver et de prendre sa place.

2. La deuxième question était : qu'est-ce qui fait que cette aide rééducative se justifie pleinement à l'école, c'est-à-dire en quoi elle prépare directement l'enfant aux apprentissages scolaires ?

Je me suis donc interrogée, en repartant de ce qui est attendu d'un élève par l'école, et des capacités qui lui sont nécessaires pour s'inscrire d'une manière créative dans la collectivité scolaire et dans les apprentissages. J'ai interrogé en premier lieu ce qu'un enfant doit avoir construit comme préalables cognitifs, affectifs, relationnels, psychomoteurs, pour pouvoir apprendre à lire, écrire, compter. J'ai questionné ensuite, d'une manière plus large, Les capacités attendues de l'enfant par l'école comme : être capable d'attendre, d'accepter le différé des apprentissages, être capable d'anticiper, de travailler et de penser seul, etc. Je me suis interrogée ensuite sur les besoins qui doivent être satisfaits pour qu'un enfant parvienne à construire ces capacités préalables nécessaires à tout élève. Je me suis enfin demandée en quoi et comment l'aide rééducative pouvait contribuer à ces élaborations et répondre à ces besoins de l'enfant, en interrogeant rétrospectivement ce que d'une part le cadre rééducatif propose à l'enfant, d'autre part ce qui s'était passé au cours du processus rééducatif d'un grand nombre d'enfants, et enfin ce en quoi ce processus rééducatif avait pu spécifiquement en aider la plupart à devenir élèves?

L’éclairage des théories permet aux professionnels, en premier lieu, de mieux appréhender et de tenter de comprendre la situation globale des enfants pour lesquels ils sont sollicités. La théorie systémique a mis l’accent sur l’importance du contexte dans lequel vit le sujet. Elle apporte des repères précieux et, d’une manière plus large, pour les équipes dans leurs relations avec les enseignants, les parents et les autres partenaires concernés par l’enfant et sa famille. Les théories cognitivistes apportent de précieux repères quant aux mécanismes en jeu dans tout apprentissage. La théorie psychanalytique quant à elle invite en particulier à considérer que le sujet est mû et divisé entre son conscient et son inconscient et à envisager que la difficulté manifeste de l’élève peut, dans certains cas avoir un statut de symptôme, c’est-à-dire qu’elle peut correspondre à l’expression inconsciente d’un conflit qui se joue ailleurs. Elle impose de considérer en l’enfant un sujet qui doit advenir avec un désir qui lui est propre et conduit à croire en l’effet de la parole. La théorie psychanalytique conduit le professionnel à construire et garantir un cadre spécifique pour l’enfant, l’enseignant, ses parents. Elle nous aide à lire ce qui se passe au cours du processus rééducatif.

Je me suis interrogée cependant également dans le même temps sur l'ancrage pédagogique d'une aide rééducative ainsi conçue, puisque cette référence psychanalytique a souvent été reprochée aux rééducateurs. J'ai donc interrogé les grands pédagogues et les différents mouvements pédagogiques au cours de l'histoire. J'ai ainsi découvert que Comenius avait affirmé dès le XVIIème siècle qu'il est nécessaire de se connaître pour pouvoir aller vers les autres, que Pestalozzi au XVIIIème avançait qu'il s'agit d'abord de « faire ?uvre de soi-même » pour pouvoir apprendre et vivre avec les autres, et j'ai trouvé bien d'autres références. Tous les grands pédagogues ont toujours affirmé et affirment encore aujourd'hui la nécessité de prendre en compte la globalité de sujet dans son environnement spécifique et le lien étroit entre affectif, relationnel et cognitif. L'enfant doit avoir construit un substrat psychomoteur, cognitif, affectif, relationnel complexe pour pouvoir se lancer dans la grande aventure de son inscription effective dans la collectivité et dans les apprentissages scolaires. Certains enfants ne sont pas prêts à nager seuls au milieu de la rivière, pour reprendre l'image de Miche SERRES dans Le Tiers instruit 1, et (ou bien) leur pensée est préoccupée, encombrée, non disponible, sans pour autant qu'une aide relevant de soins, à l'extérieur de l'école, semble s'imposer. Comme le formule si clairement la circulaire de 2002 2, (je cite) « du fait des conditions sociales et culturelles de leur vie ou du fait de leur histoire particulière, (ils) ne se sentent pas "autorisés" à satisfaire aux exigences scolaires, ou ne s'en croient pas capables, ou ne peuvent se mobiliser pour faire face aux attentes (du maître, de la famille, etc. » Ils ne parviennent pas à articuler « leur "monde personnel" et les codes culturels que requiert l'école ». L'enfant auquel est proposé une aide rééducative souligne les limites du domaine pédagogique et didactique. On postule cependant, à l'issue des rencontres préliminaires avec son enseignant, ses parents et lui-même, qu'il possède en lui, même s'il l'ignore, les capacités de son auto-réparation.

Les objectifs de l'aide rééducative sont donc psychoaffectifs et pédagogiques. Il s'agit d'aider l'enfant à :

  • Réguler ses angoisses, ses émotions, ses pulsions,
  • (Re)construire une image de soi, une confiance en soi suffisantes, une identité personnelle inscrite dans le temps et dans le social,
  • Achever de construire ou rendre accessibles les ressources et capacités nécessaires pour devenir écolier et élève,
  • S'inscrire d'une manière créative dans la collectivité scolaire et pouvoir apprendre en classe, avec son enseignant.
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Une difficulté si ordinaire

Texte révisé et complèté

Prix : 15EUR par téléchargement

« Je m’appelle Virginie, j’ai 10 ans »

Extrait de la préface de Jacques LEVINE

psychologue et psychanalyste *

Je ne crois pas qu’il existe actuellement un travail aussi copieux et complet sur la rééducation et qui donne tant à réfléchir sur ses principes et sa pratique que celui que nous propose Jeannine Héraudet. Il se trouve que c’est également, indirectement, un travail sur l’état de l’école aujourd’hui. Car la rééducation fonctionne sur le mode d’un observatoire et d’un laboratoire. Elle est observatoire privilégié dans la mesure où, de sa place, elle permet de porter un regard impitoyable sur ce à quoi elle doit remédier : les dysfonctionnements scolaires. Et du fait qu’elle donne à entrevoir ce que pourrait être une autre conception des rapports adulte-enfant, elle a valeur, à sa façon, de laboratoire du futur. Ceci dit, que pourrais-je ajouter à ce travail, puisque je laisse entendre que la plupart des problèmes qui concernent la rééducation y sont traités ? Peu de choses, effectivement, sinon l’une des réflexions qui m’est venue au cours de la lecture. Elle porte sur une notion centrale qui parcourt ce livre d’un bout à l’autre : la notion d’alliance et, plus précisément, la notion de « devoir d’alliance », et encore plus précisément même si au premier abord l’idée peut paraître quelque peu hermétique, la notion de relation comme « dette réciproque d’alliance ».

* Jacques LEVINE, Psychologue, psychanalyste, fondateur des groupes de « Balint Enseignants » ou « Soutien au Soutien » et de l’AGSAS (Association des Groupes de Soutien au Soutien).